La plupart des gens s’accordent à reconnaître que la première impression d’une chose ou d’un lieu est souvent celle qui reste, laissant devant nos yeux comme une trace indélébile. Tel arrive à Paris dans les fraîcheurs d’avril, et y trouvera toute sa vie le bonheur des petits matins tendres dans les ruelles rêveuses.
Mais le Centre, lui, échappe à cette ligne de conduite. Il est aussi changeant que nos humeurs indécises, tantôt colosse fougueux et écumant, paquebot enivré échoué dans le béton, tantôt amas concassé de poutres et de tubes, astéroïde écrasée dans une boîte à peinture. On l’aime un jour, pour le haïr le lendemain, et les cris qu’on lui assène mêlent les huées et les bravos. Mais lui ne s’en préoccupe guère, car il n’a qu’une volonté, vers laquelle il tend tout son effort : montrer l’art. L’art est un monstre que l’on enferme dans le carré des toiles, qu’on accroche à la blancheur des murs, qu’on laisse pendre aux clous des plafonds, qu’on érige dans des cages de verre.
Lorsqu’on surgit de la rue du Renard, il est ce rectangle multicolore dont l’horizon s’efface, qui présage les mille merveilles d’un monde à découvrir avec les yeux et le cœur. Et lorsqu’on y pénètre enfin, c’est un ailleurs plein de lumières qui vient à notre rencontre. De l’extérieur, les groupes ne peuvent que pressentir la puissance du titan ; ils s’assoient sur le vallon de pierres, balancent une guitare contre l’épaule, ou forment un cercle autour des chevalets poussant çà et là entre les pavés, avant de repartir en traînant les pieds dans la furia des Halles.
Mais, de l’intérieur, l’émotion n’est plus la même. Le groupe des visiteurs laisse en suspens ses croyances, pour en prendre de nouvelles. Il n’est pas authentiquement crédule, mais est prêt à le devenir pour le temps d’une contemplation esthétique. Certes, il y a le dégoût possible de l’esprit et des sens, mais les refus sont volontaires : puisque le groupe est là, au milieu de l’arène, il trouvera dans une esquisse de sourire ou un rire franc la contrepartie de sa déception. Car le centre sait orchestrer les étonnements, les polir contre les parois immaculées et les vitres translucides, les faire chavirer sur un monochrome inattendu, ou un Picasso trop attendu, les recueillir à même le sol pour relancer leur course effrénée vers les expositions temporaires et le voile intriguant qui les absorbe.
Beaubourg est une vue de l’esprit, mais d’un esprit attentif aux choses. Car l’ultime œuvre d’art contemporain que découvre le groupe qui s’y constitue, debout dans les galeries du sixième étage, est Paris elle-même, mise à nue, caressée par les vents enfermés sous son ciel qui s’engouffrent sans crier gare dans les alcôves de la ville.